• 1. Les défis à relever.

    En avril 1955, à Bandung, en Indonésie, les représentants de 29 pays d’Asie et d’Afrique se réunissent pour condamner le colonialisme, affirmer leur neutralité dans la guerre froide et exiger une coopération économique internationale. Ces États mettent en avant la solidarité afro-asiatique. Cette conférence marque la naissance d’un ensemble d’États que le démographe français Alfred Sauvy a nommé « Tiers Monde » dès 1952. Ces États regroupent 50% de la population mondiale mais seulement 8% de la richesse mondiale.

    Le premier défi à relever est celui du développement. Pour les théoriciens du « tiers-mondisme », le sous développement du sud est attribué à la colonisation puis à la domination néo-coloniale. Les États font face à une forte croissance démographique. La population africaine augmente de 85% entre 1950 et 1975. Aussi les États peinent-ils à assurer la « sécurité alimentaire » de la population. Certains, comme l’Inde après la famine de 1966, se lancent dans une « révolution verte ». Les États doivent maîtriser l’exode rural qui nourrit les bidonvilles urbains. Les États ne peuvent s’appuyer sur des systèmes économiques structurés. Pour se développer, de nombreux pays adoptent le modèle de l’« économie dirigée » : l’Algérie, l’Inde, le Vietnam ou l’Éthiopie. La stratégie d’industrialisation est souvent inspirée du modèle socialiste. Ceux qui disposent de matières premières les exportent : minerais du Congo, cacao de Côte d’Ivoire… Les autres s’endettent. Tous doivent assurer l’alphabétisation de la population nécessaire au développement.

    Le deuxième défi consiste à construire des États. Les indépendances ont le plus souvent été obtenues suite à une mobilisation encadrée par un parti indépendantiste. Souvent, celui-ci s’impose comme parti unique et prend seul le pouvoir, comme en Algérie. Certains États deviennent des dictatures parfois soutenues par les puissances occidentales. D’autres tentent d’adapter le modèle démocratique occidental. L’Inde se dote d’un système parlementaire sur le modèle britannique. Mais dans la plupart des pays, les libertés d’expression et de vote ne sont pas respectées.

    Le troisième défi consiste à confirmer l’indépendance politique et économique. Or les anciennes métropoles réagissent violemment aux premières tentatives d’indépendance économique. Lorsque le 25 juillet 1956, Gamal al-Nasser proclame la nationalisation du canal de Suez, Français et Britanniques, soutenus par Israël, interviennent militairement. Mais l’Égypte reçoit le soutien diplomatique des États-Unis et de l’URSS. L’issue du conflit est présentée comme une revanche du Tiers-Monde sur les anciennes métropoles.

    Les États maintiennent leur volonté de coopérer. En 1960, les pays exportateurs de pétrole dont l’Arabie Saoudite et le Venezuela créent l’OPEP. En septembre 1961, à Belgrade, en Yougoslavie, 25 États fondent le mouvement des « non-alignés » qui rejette toute alliance avec une grande puissance. En 1963, les États africains fondent l’Organisation de l’Unité Africaine. En 1967, les Philippines, la Malaisie, l’Indonésie, Taïwan et Singapour créent l’ASEAN. Mais les États pèsent peu dans les grandes institutions internationales comme l’ONU ou le GATT (remplacé par l’OMC en 1995). L’entente des non alignés ne dure pas.

     

    2. Une unité difficile à maintenir.

    Les États ont des difficultés à se structurer. Souvent, les systèmes politiques mis en place sont instables. L’encadrement administratif est insuffisant et parfois corrompu. Les élites politiques sont contestées. Les appartenances ethniques ou religieuses déterminent les oppositions. Les États ont des problèmes d’unité intérieure. Les frontières ont parfois été tracées sans tenir compte des traditions historiques et des ethnies présentes. Les ethnies se disputent le pouvoir. Les minorités se révoltent : Tibétains, Kurdes, Sikhs du Pendjab… L’Afrique est le continent le plus touché par les conflits intérieurs et les tensions frontalières. Les conflits sont nombreux, longs et meurtriers : au Rwanda, entre avril et juillet 1994, 1 M de Tutsis sont massacrés par les Hutus soutenus par le pouvoir ; au Darfour (Soudan), entre 2003 et 2007, 200 000 civils sont tués durant la guerre civile. Parfois, les États s’affrontent : au Cambodge, entre 1978 et 1979, les Vietnamiens chassent les Khmers rouges et occupent le pays.

     

    3. Des États aux évolutions économiques différentes.

    En 1964, 77 États obtiennent la création de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement dont l’objectif est de renforcer la solidarité internationale. Ils exigent qu’au moins 1% du PIB des pays industrialisés soit destiné à l’aide au développement. Mais l’écart entre les pays industrialisés et ces pays ne cesse de se creuser. Les pays exportateurs de matières premières subissent les variations des prix du marché. Les pays endettés subissent les hausses des taux d’intérêt. Les pays industrialisés contrôlent les échanges. Seuls les pays exportateurs d’hydrocarbures s’enrichissent. En avril 1974, une session extraordinaire de l’ONU réclame un nouvel ordre économique mondial.

    L’Asie et l’Afrique connaissent des décollages économiques décalés. L’Asie, considérée comme « indéveloppable » dans les années 1960, connait une croissance économique rapide. Certains États, offrant une main d’œuvre peu qualifiée et sous payée, deviennent des pays ateliers pour les pays industrialisés. La Corée du Sud, Hong Kong, Taïwan et Singapour, s’inspirant du modèle économique japonais, sont devenus des NPIA. La Chine et l’Inde ont su attirer les entreprises étrangères. S’ouvrant aux capitaux étrangers, créant des zones économiques spéciales sur son littoral, la Chine est devenue, à partir des années 1980, l’atelier du monde. Aujourd’hui, de nouveaux pays ateliers asiatiques la concurrencent. En Afrique, certains États, comme le Maroc, sont qualifiés de « pays intermédiaires ». Mais beaucoup restent très pauvres. Ces États forment le groupe répertorié par l’ONU des « pays les moins avancés ». Les agricultures vivrières y sont souvent délaissées au profit des agricultures d’exportation. La population souffre encore de la malnutrition et des grandes pandémies comme le SIDA (http://blog.ac-rouen.fr/lyc-bloch-notes/2014/09/02/linegal-acces-a-la-sante-dans-le-monde/). Les États souffrent d’un manque d’infrastructures : hôpitaux, écoles, adduction d’eau… Ils sont surendettés. La notion de Tiers-Monde est devenue synonyme de pauvreté.

    Les écarts de richesses internes sont très marqués. Une partie de la population s’est enrichie. La Chine est aujourd’hui le pays qui compte le plus de millionnaires. Une classe moyenne émerge. Mais la population reste majoritairement très pauvre. En 2008, 22% de la population mondiale vit dans une pauvreté extrême avec moins de 1,25 dollar/jour. Ce chiffre est en baisse constante mais le recul n’est pas constant et identique dans toutes les régions. L’Afrique reste le continent le plus pauvre. Les 20 pays les plus pauvres du monde sont africains. Certains habitants se lancent dans les trafics illicites ou cherchent à émigrer. L’accès à la scolarisation, aux soins et à l’eau potable restent des défis majeurs. Au Niger, 90% des femmes et 80% des hommes sont analphabètes. Au Mali, on compte 1 médecin pour 10 000 habitants. Au Niger, moins de la moitié de la population a accès à l’eau potable. Les ONG réclament, depuis les années 1970, un droit d’ingérence humanitaire mais cette demande est contestée au nom du « droit des peuples à disposer d’« eux-mêmes ».

    Aujourd’hui, certains États sont considérés comme « émergents » : la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud… Depuis 2008, le G20 tente de faire dialoguer pays industrialisés et ces pays mais les pays industrialisés imposent encore leurs choix économiques. Depuis 2011, l’entente des BRICS tente de faire entendre la voix des grands pays émergents mais les rivalités internes nuisent à une diplomatie commune et efficace.  Pourtant les BRICS représentent 45% de la population mondiale, ¼ de la richesse mondiale et les 2/3 de la croissance mondiale. En juillet 2014, ils lancent leur banque de développement. En octobre 2014, la Chine est présentée comme la première puissance économique mondiale. Cela révèle un paradoxe : elle n’est toujours considérée que comme une puissance « émergente » aux écarts de richesses intérieurs très marqués.

     

    Jean-Marc Goglin

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  • La Russie contemporaine naît de l’éclatement de l’URSS, survenue le 25 décembre 1991. Elle perd alors 24% de son territoire et son statut de super puissance. La volonté russe de retrouver son rang entraîne une restructuration du territoire.

     

    I.                Des atouts majeurs mais des contraintes majeures…

    La superficie du territoire est le principal atout de la Russie. Ses 17M de km² en font le territoire le plus vaste du monde, de 9000 km de longueur et de 3000 km de largeur. Ce territoire est doté de ressources naturelles nombreuses et variées : hydrocarbures (pétrole, gaz/Bakou II, Bakou III), minerais, bois… La Russie exploite ses matières qu’elle exporte (=80% des exportations russes). Ce marché est tellement essentiel que l’Etat a repris le contrôle des entreprises d’extraction. La difficulté porte sur leur exploitation. En effet, la Russie est le « pays du froid ». Le climat est continental en Europe, polaire en Sibérie. Les hivers sont longs et rigoureux. Les 2/3 du territoire ont des moyennes de janvier inférieures à -20°C et connaissent plus de 6 mois de gel dans l’année. Moscou connait des températures de -40° C. Le printemps connaît une fonte des glaces (débâcle) qui rend la circulation terrestre difficile Le sol est gelé en permanence à certains endroits (pergélisol). Les fleuves qui s’écoulent du Sud vers le Nord sont souvent impraticables. En conséquence, la Russie est marquée par l’opposition entre Russie d’Europe (80% de la pop sur 25% du territoire) et Sibérie (20% de la pop sur 75% du territoire). Les ressources disponibles sont de plus en plus éloignées des foyers de peuplement. Ce qui entraîne une augmentation des coûts d’extraction et de transport. Son projet géostratégique est d’exploiter les réserves pétrolières de l’Arctique.

     

    II.              Des mises en valeur difficiles et ponctuelles.

    La Russie possède 40000 km de littoraux. Elle développe ses façades maritimes afin de faciliter son insertion dans la mondialisation. La façade Saint Pétersbourg-Mourmansk, sur la Baltique et la mer Blanche, permet d’échanger avec l’Europe. La façade Pacifique Sakhaline-Vladivostok permet d’échanger avec l’Asie. Saint-Pétersbourg, 5 M d’hab, est la « vitrine » des transformations russes. SP est une ville-musée, dont l’Ermitage est le plus beau fleuron, qui attire les touristes étrangers. Le quartier culturel et commerçant de la Petite Hollande est réputé. Mais SP est également une ville industrielle. Son activité portuaire a nécessité la création d’avant-ports. Mais la circulation maritime reste difficile. Le cabotage reste peu pratiqué. Il n’existe pas de liaison entre la façade européenne et la façade Pacifique à cause de la glace. La Russie espère un jour voir s’ouvrir la Route Maritime du Nord.

    La Russie reste un territoire essentiellement terrestre. Cependant, elle possède un réseau de transport terrestre insuffisant. Le réseau ferroviaire reste favorisé. Mais il possède trois insuffisances majeures : sa densité est faible (nette opposition Est/Ouest), ses axes sont trop centrés sur Moscou, ses équipements restent de mauvaise qualité : vitesse insuffisante, notamment pour le transport des passagers, vétusté des ponts… Un effort a été fait avec l’ouverture d’une LGV entre Moscou et Saint-Pétersbourg. Mais les liaisons entre Moscou et la Sibérie restent lentes et difficiles. Le Transsibérien a été ouvert en 1904. Le Baïkal-Amour-Magistral a été ouvert en 1984. Vladivostok se trouve à 9 jours en train de Moscou. Le transport routier reste insuffisamment développé. Seul le transport aérien semble adapté au transport de passagers. Mais la Russie espère maîtriser à termes les flux terrestres entre l’Asie et l’Europe. Elle construit gazoducs et oléoducs afin d’acheminer ses hydrocarbures vers l’U.E. et la Chine qui sont ses principaux acheteurs. Le Nordstream, ouvert vers l’Allemagne depuis 2011, est une prouesse technique. Un projet Southstream vers la Turquie est envisagé.

     

    III.            Des régions plus ou moins dynamiques.

    L’espace le plus dynamique reste l’espace central, organisé autour de Moscou. Moscou, 14 M d’hab, est la capitale politique (Kremlin), administrative et économique de la Russie et une métropole à l’influence politique internationale croissante. Moscou accapare entre 40 et 80% des IDE. Une agriculture périurbaine se développe. Les industries héritées de l’époque soviétique restent d’une vigueur exceptionnelle. De nouvelles industries liées aux hautes technologies se sont implantées. Le tertiaire explose : banques, assurances, communications… Le quartier d’affaires de Moscou-City est représentatif de cette évolution. S’y trouvent sièges sociaux des FTN russes, Loukoil et Gazprom, et sièges sociaux des FTN étrangères. Gazprom est la 1ère firme russe. Elle diversifie ses activités n investissant dans l’agriculture et le tourisme et en rachetant des entreprises étrangères. La stratégie de Gazprom, couverte par le Kremlin, pose réels problèmes géopolitiques. Moscou souhaite encore développé l’accueil touristique qui a chuté. Cet espace central est l’espace le plus riche de Russie. Néanmoins, les fortunes élevées des « nouveaux Russes » côtoient la grande pauvreté. Le chômage russe est record. Les femmes sont particulièrement touchées. L’espérance de vie a chuté de 73 ans en 1991 à 63 ans depuis 2001. 25 M de Russes vivent sous le seuil de pauvreté.

    Les périphéries intégrées correspondant à l’ensemble de la Russie et à la partie Sud de la Sibérie. Ces espaces sont soit industrialisés soit agricoles. Les espaces industrialisés sont situés le long de la Volga et de l’Oural. Les espaces agricoles sont situés dans le Sud, entre le Don et la Volga. Ils correspondent aux Terres Noires fertiles. Tous ces espaces ont souffert de l’abandon du communisme et de la transition vers l’économie de marché imposée par le gouvernement. De nombreuses industries ont fermé : machine-outil, textile… Le Complexe militaro-industriel et la chimie sont en grandes difficultés. La métallurgie et la sidérurgie restent dynamiques. L’afflux de capitaux étrangers ont permis une certaine diversification des activités industrielles : électronique et électroménager. Les exploitations agricoles ont vu leurs productions s’écrouler. Les terres ont été privatisées mais les productions agricoles restent insuffisantes. Les cultures céréalières restent soumises aux variations climatiques. L’élevage est insuffisant. Les IAA (Bonduelle) sont encore trop peu nombreuses. Le Sud de la Sibérie bénéficie de la présence de gisements de matières premières : Norilsk (minerais), Kouzbass (charbon), Nerioungri (pétrole). Les villes comme Novossibirsk, situées le long du Transsibérien, sont des îlots de richesse. Néanmoins, l’éloignement de Moscou se fait sentir. L’extrême Orient envisage de faire sécession. Il se sent davantage asiatique qu’européen. Il constate l’impuissance de Moscou à empêcher l’installation de Chinois (1 à 5 M) le long de l’Amour qui défrichent et déforestent au bénéfice de la Chine. Vladivostok, port militaire devenu commercial, s’ouvre à la Chine et au Japon.

    La périphérie marginalisée correspond au Nord de la Sibérie. La forêt couvre plus de 45% du territoire. La densité de pop est inférieure à 2 hab/km². Kaliningrad, exclave de 15100 km au sein de l’UE, reste un territoire à part. Moscou en a fait une zone franche afin d’obtenir les IDE de l’UE. Cet espace a noué des relations étroites avec les États limitrophes au sein d’euro-régions.

    La Russie souhaite devenir une grande puissance et espère bénéficier de sa situation géographique pour devenir une interface majeure entre l’Europe et l’Asie. Fort des bénéfices liés à l’exploitation de ses hydrocarbures, la Russie est devenue une puissance ré-émergente, intégrant le groupe des BRICS. Néanmoins, sa situation d’État rentier laisse des doutes sur son évolution économique et politique future. D’autant que la Russie s’insère encore peu dans la mondialisation. Si elle ne représente qu’1% du commerce mondial, elle est entrée à l’OMC le 22 août 2012.

    Des questions à se poser concernant la Russie : 

    • Peut-on classer la Russie parmi les pays émergents ? Ou peut-on définir la Russie comme ré-émergente?
    • Peut-on parler de pays émergent dans le cas d’une économie de rente ? Un pays émergent qui n’investit pas peut-il continuer à se moderniser ?
    • Les investissements russes sont-ils suffisants dans le domaine énergétique ?
    • Quelle est la stratégie de réinvestissement si celle-ci existe ?
    • La Russie propose-t-elle une variété nouvelle de capitalisme fondée sur les décombres de l’appareil communiste ?
    • Le rôle économique de l’État représente-t-il un risque pour l’émergence en cours ?
    • L’émergence s’est-elle traduite par l’apparition d’une bourgeoisie dotée d’une capacité à entreprendre de façon autonome à Moscou ou dans les régions ?
    • La société russe accepte-t-elle d’être de plus en plus inégalitaire ?
    • Comment un pays qui vieillit si vite peut-il se projeter dans l’avenir ?
    • Peut-on envisager la création d’une « zone rouble » dans l’ancien espace soviétique ?
    • Existe-t-il aux frontières de la Russie une forme de périphérie opposée à toute politique d’expansion et désireuse d’indépendance ?
    • Peut-on parler d’interdépendance ou de dépendance ?

     

    Jean-Marc Goglin

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  • La Catalogne administrative est une région du nord-est de la péninsule ibérique. Elle est une région historique d’Espagne et une communauté autonome. La communauté autonome est divisée en quatre provinces : Barcelone, Gérone, Lleida et Tarragone. Depuis le 19 juin 2006, elle est définie comme « réalité nationale » par son statut d’autonomie. Mais le préambule du même statut définit la Catalogne comme une « nation ».

     

    I.                La Catalogne est administrativement une région espagnole.

    La principauté de Catalogne est créée au XIIe siècle. Au Ve siècle, elle s’allie à la Castille au XVe siècle et intègre le Saint Empire Romain germanique. Au XXIe siècle, la communauté autonome de Catalogne couvre une superficie de 32 114 km2 avec une population estimée à 7, 5 M d’habitants. Sa capitale est Barcelone, deuxième plus grande ville d’Espagne. L’agglomération compte 5, 3 M d’habitants.

    La Catalogne est la première région industrielle d’Espagne. Trois secteurs clés : l’automobile (présence de Volkswagen et Nissan), la chimie et le textile. Au XIXe s, la Catalogne est entrée dans l’ère industrielle de manière plus dynamique que les autres régions espagnoles. Le commerce est le secteur le plus important de l’économie catalane. Aujourd’hui, la Catalogne représente le ¼ des exportations espagnoles, dont 70 % sont destinées à l’U.E. Les principaux pays destinataires sont la France, suivie – loin derrière – de l’Allemagne, de l’Italie, du Portugal et du Royaume-Uni. La Catalogne est la première destination touristique d’Espagne. Les principales destinations sont Barcelone (Las ramblas, la Sagrada familia de Gaudi, les monuments classés au patrimoine mondial de l’UNESCO : palais Güell…), les villes balnéaires mais aussi les stations de ski. Les touristes viennent de l’ensemble de la péninsule ibérique (5 M/an) mais aussi de France et du Bénélux (13 M/an). L’agriculture est un secteur peu important, malgré les progrès récents de l’industrie agro-alimentaire. L’agriculture s’est surtout orientée vers les cultures et les productions à grande valeur ajoutée : la floriculture et l’horticulture intensives ; les vins et les vins champagnisés (lecava) ; l’olive « arbequina » dont on extrait une huile d’olive de grande qualité ; les fruits secs et sucrés ; le riz… Barcelone pèse ¼ du PIB espagnol.

                La Catalogne est bien reliée à l’ensemble de l’Espagne. Elle dispose de 12000 km de routes. Le réseau autoroutier et routier est dense. Barcelone est reliée à Madrid mais aussi à Valence et Saragosse. Barcelone dispose de deux gares qui la relient à Séville, Grenade, Bilbao… Le port de Barcelone est un port commercial, industriel et de pêche. Il est un des principaux ports de Méditerranée pour le commerce. Il est le premier port européen pour les croisières.

     

    II.              La Catalogne est une région autonome qui revendique son indépendance.

    La Catalogne possède un sentiment identitaire fort. Le club de football du Barça illustre à sa façon ce sentiment identitaire catalan.

    Le XIXe siècle marque le renouveau de la Catalogne. En 1932, la Catalogne obtient son premier statut d’autonomie au sein de la Seconde République espagnole. Sous le régime du Général Franco, la Catalogne perd son statut d’autonomie. Le catalan est interdit. La constitution espagnole de 1978, qui établit le retour à la monarchie parlementaire, déclare que l’Espagne est une nation indissoluble qui reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des régions qui la constituent. Elle réaccorde à la Catalogne son autonomie. La Catalogne est l’une des 17 communautés autonomes de l’État espagnol.

    La Catalogne dispose de sa propre autonomie dans certains domaines. Elle a en charge 33 compétences dont l’urbanisme, l’aménagement du territoire, le tourisme et d’assistance sociale. La défense, la politique extérieure, la surveillance des frontières restent fixées par l’État central. L’institution d’auto-gouvernement est la Generalitat, formée par le Parlement de Catalogne, le président de la Generalitat et le gouvernement catalan. Le Parlement est élu au suffrage universel tous les quatre ans. Elle élabore, discute et approuve les lois propres à la Catalogne. Son président est élu parmi ses membres. Le président propose, une fois élu, un gouvernement, ou conseil exécutif, dont il dirige et coordonne les actions. Le gouvernement catalan est formé de douze ministères, ou conselleries. Deux institutions dépendent du parlement : le Síndic de Greuges,chargé de contrôler le fonctionnement de l’administration publique catalane et de garantir le respect des droits et libertés du citoyen, et la Sindicatura de Compteschargé de contrôler la gestion économique, financière et comptable du secteur public catalan. L’organisation judiciaire revient au Tribunal Superior de Justícia de Catalunya.

    Le catalan est la langue principale du gouvernement autonome de Catalogne et des institutions publiques qui relèvent de sa juridiction, coofficielle sur le territoire à côté du castillan. L’éducation publique est dispensée en catalan, à l’exception de trois heures par semaine consacrées au castillan. Le catalan est aussi parlé dans la principauté d’Andorre qui en a fait sa langue officielle, et dans le sud de la France. Le drapeau officiel de la Catalogne, la « senyera », est sang et or.

    La Catalogne revendique son indépendance. Ces revendications s’appuient sur sa vitalité culturelle et son dynamisme économique. Si la Catalogne était un État indépendant, elle serait la 7e puissance de l’Union Européenne (classement selon le PIB/hab). La Catalogne affirme souffrir d’un déficit fiscal annuel de 16 milliards d’euros, ce que conteste Madrid, et accuse le gouvernement central d’être responsable de ses difficultés financières. La Catalogne est la région la plus endettée d’Espagne (22 % de son PIB), s’estime lésée par un déficit fiscal chronique et réclame à Madrid un « pacte fiscal », qui lui permettrait de lever elle-même l’impôt. Un tel statut existe déjà au Pays basque et en Navarre, les deux régions d’Espagne où le PIB par habitant est le plus élevé.

     

    III.            La Catalogne est une région européenne.

    L’Espagne intègre la C.E.E. en 1986. En conséquence, la Catalogne devient une région européenne. La Catalogne défend une vision fédéraliste de l’Europe, tout en soulignant le rôle essentiel des régions dans la construction de l’identité européenne. Elle revendique de nouvelles compétences pour les régions européennes qui disposent déjà d’une certaine autonomie et de pouvoirs législatifs. Selon elle, il n’est pas juste que de petits États soient représentés dans les institutions européennes, alors que des régions au poids démographique et économique parfois supérieur sont écartées. L’Union Européenne s’oppose à l’indépendance de la Catalogne. En 2013, elle a indiqué que l’obtention de l’indépendance entrainerait automatiquement l’exclusion de la Catalogne de l’U. E.

     

    IV.            La Catalogne est une euro-région.

    La Catalogne historique est coupée en eux depuis 1662. En effet, une partie de la Catalogne se situe en France et correspond à l’actuel département des Pyrénées-Orientales. Aussi, l’euro-région Pyrénées-Méditerranée est-elle née le 29 octobre 2004. Elle est un projet de coopération politique entre l’Aragon (qui a suspendu sa participation en 2006), la Catalogne, les îles Baléares, le Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. En 2009, cette euro-région est devenue un Groupement européen de coopération territorial. .Son projet est de développer les activités économiques comme le tourisme et la recherche, la formation et les politiques communes de transport. Les décisions se prennent en assemblée. La Catalogne développe ses liaisons transfrontalières. La Catalogne s’impose comme interface entre la France et certaines régions du sud de l’Espagne. L’autoroute principale longe de la côte et permet de relier Valence à la France. Une liaison TGV vers Paris existe depuis décembre 2013. La Catalogne avait l’ambition de servir d’interface entre l’U.E. et l’Afrique du Nord au sein d’une union économique mais ce projet n’a pas aboutit. Cependant, Barcelone accueille toujours le siège de l’Union pour la Méditerranée.

    La Catalogne est une région espagnole mais autonome. Elle profite de la disparition des frontières internes au sein de l’Union Européenne pour ouvrir son territoire. Certains espèrent qu’elle obtiendra son indépendance. Mais l’UE avertit qu’elle l’exclura.

     

    Jean-Marc Goglin 

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  • Texte publié : http://blog.ac-rouen.fr/lyc-bloch-notes/2014/01/16/le-liberalisme-ou-les-liberalismes/

     

    Doit-on parler du libéralisme ou des libéralismes ?[1] Historiquement, le libéralisme est la première idéologie politique moderne. Cette idéologie trouve ses origines dans la pensée médiévale et se structure progressivement à partir du XVIIIe siècle. Le concept central de cette idéologie est celui d’individu et non celui de liberté. Mais deux visions se différencient : une première qui défend l’individu parce que acteur de son agir ; une deuxième qui accorde à l’individu d’être une valeur absolue. Peut-on donc donner une définition univoque du libéralisme ? Ou la prudence conduit à donner une définition équivoque ?

     

    I.                 Aux origines des libéralismes : l’individu.

    L’historiographie classique affirme que la notion d’individu n’existe pas dans l’Antiquité. L’individu serait avant tout un citoyen qui ne se concevrait qu’au sein de l’ensemble des citoyens rassemblés au sein de la polis. Cette vision, héritée du XIXe siècle, est remise aujourd’hui remise en cause. Quoi qu’il soit, les auteurs médiévaux ont réfléchi à la notion d’individu. Au XIIe siècle, Pierre Abélard met en valeur la notion d’intention comme pouvoir intérieur à engager une action. Au XVIe siècle, l’école juridique de Salamanque affirme, dans le contexte de la découverte du nouveau Monde, le pouvoir inaliénable naturel de chaque individu. Progressivement, les pouvoirs naturels de l’homme sont entendus comme des droits inaliénables. Ce sont ces droits inaliénables que défendent, au XVIIe siècle John Locke, puis au XVIIIe siècle, les philosophes des Lumières.

    L’historiographique classique affirme que la notion d’individu ne nait qu’au XIIe siècle, époque où apparait la figure du marchand. Cette interprétation correspond à la vision classique que l’on se fait du libéralisme : une idéologie économique. Or il n’en est rien. Le libéralisme n’est pas une idéologie économique mais politique. Au XVIIIe siècle, Adam Smith relève que l’homme se distingue des autres animaux par sa faculté à échanger et à commercer. Smith a été interprété comme un théoricien économique. Or Smith est avant tout professeur de logique et de philosophie morale[2].

     

    II.       Les libéraux se divisent sur une valeur : la souveraineté de l’individu.

    Un libéralisme érige l’individu en valeur suprême et centrale de la société. Au XVIIe siècle, John Locke énonce trois droits fondamentaux : le droit à la vie et à fonder une famille ; le droit à la liberté et le droit à la jouissance de ses biens et à l’échange. Ces droits sont naturels et, en conséquence, inviolables.

    Au XIXe siècle, Benjamin Constant défend l’individualité. Son œuvre s’interprète dans le contexte des monarchies absolues qui règnent sur l’Europe. L’individualité doit triompher de l’autorité, du despotisme et de l’asservissement. Le principe est clair : l’individualité est une valeur. L’individu est à libérer. Mais le libéralisme n’est pas l’anarchisme : il ne refuse pas l’ordre et le respect des lois. Mais l’État ne peut avoir tous les droits. Max Stirner porte à son extrême cette logique de l’individualisme. Il affirme que la liberté consiste à réaliser concrètement la « particularité ». Disciple de Hegel, Stirner défend la valeur du « moi ». Chaque « moi » est unique, absolu et doit être libéré des entraves de la société. Cette interprétation d’Hegel est critiquée par Karl Marx.

    Au XXe siècle, Ludwig von Mises, membre de l’école autrichienne, affirme que la société repose essentiellement sur des stratégies individuelles d’hommes jouissant d’une liberté et d’une autonomie totales. L’intérêt personnel est le moteur de l’action. Cet individualisme n’est pas synonyme d’égoïsme et ne nie pas l’altruisme mais il affirme que la recherche individuelle de sa satisfaction personnelle en est à l’origine. Selon ce principe, la recherche de l’intérêt personnel entraîne le service d’autrui. Joseph Alois Schumpeter, influencé par l’école autrichienne, met l’accent sur la personne emblématique de l’entrepreneur. L’entrepreneur est celui qui innove et crée de la richesse. Il s’agit donc de le laisser libre.

    Au XXe siècle, les libéraux américains adhèrent pleinement aux théories de Mises. Certains sont proches du courant libertaire : Ayn Rand, Murray Rothbard et David Friedman[3]. Ayn Rand affirme que l’individu a le droit d’exister pour lui-même et pas seulement comme un maillon de la chaîne humaine inscrite dans l’histoire de l’humanité. L’individualité est donc le seul critère de comportement social.

    Mais un autre libéralisme se détache de cet individualisme. Au XIXe siècle, Alexis de Tocqueville, d’inspiration légitimiste, se méfie autant de l’État que de l’individu. Il constate que l’histoire s’apparente à une marche vers l’égalitarisme. Cet égalitarisme entraîne l’individualisme que Tocqueville considère comme une tare. Tocqueville relève deux risques. Le premier est d’ordre politique : l’égalitarisme conduit l’homme à renoncer à sa qualité d’acteur politique pour retourner à l’état de sujet soumis à la servitude politique. Le deuxième est d’ordre social : l’individu se replie sur sa sphère privée et néglige les intérêts collectifs. Pour Tocqueville, une telle situation risque de déboucher soit sur le despotisme, soit sur l’anarchie[4].

     

    III.              Les libéraux se divisent au sujet du rôle de l’État.

    Au XVIIIe siècle, Adam Smith fonde les principes de l’école économique libérale dite « classique ». Il promeut la métaphore de la « main invisible », opposée à la « main trop visible » des princes et des gouvernants. Il signifie que la société est tout à fait capable de se conduire toute seule au bien commun. Cela est vrai dans le domaine économique mais pas seulement. L’action de l’État doit être restreinte au minimum. En économie, les libéraux s’opposent à l’ingérence de l’État, à ses contraintes administratives, ses monopoles… Adam Smith insiste sur l’action rationnelle de chaque individu qui ne devait pas oublier d’agir vertueusement[5].

    Au XIXe siècle, John Stuart Mill montre que l’économie répond à la seule loi de l’offre et de la demande en dehors de toute règle politique ou morale. Mais une action humaine peut être économiquement possible et juridiquement légale tout en étant immorale. Il doit donc exister des règles politiques et morales supérieures aux règles économiques afin de remédier aux déséquilibres causés par la loi de l’offre et de la demande.

    Au XIXe siècle, Tocqueville défend la construction d’une société et d’un État équilibrée entre pouvoirs et contre pouvoirs. Frédéric Bastiat est plus prudent : il ne faut demander à l’État que liberté et sécurité. En demander plus risque de faire perdre l’ensemble. Au XXe siècle, Alain tente de reprendre cet équilibre. Il conçoit l’individu comme un philosophe qui doit à la fois obéir et résister. L’homme doit d’abord obéir aux lois pour garantir l’ordre social mais il doit en même temps résister pour défendre sa liberté personnelle.

    John Stuart Mill défend l’intervention de l’État. Il constate que le principe de la « main invisible » d’Adam Smith ne fonctionne pas. L’État doit soutenir l’individu. Il a d’abord une fonction normative : il doit empêcher les forts d’écraser les faibles et la majorité d’opprimer la minorité. Mais il a également une fonction sociale : il est le garant de l’épanouissement de l’individu en luttant contre l’ignorance, la maladie et la misère.

    John Maynard Keynes s’inscrit dans la continuité des travaux de Jérémie Bentham et de John Stuart Mill. Du premier, il retient l’idée d’une régulation sociale par l’État corrigeant l’ordre spontané du marché. Du second, il étend l’idée d’une protection des individus défavorisés. Il est à l’origine de l’instauration du New Deal aux États-Unis et de la transformation de l’État comme « provident »[6].

    En opposition, Ludwig von Mises définit l’État comme un appareil hégémonique de contrainte et d’oppression. Il ne reconnait que le marché comme un lieu libre d’échanges entre les individus. Il est persuadé que la fonction militaire de l’État est appelé à disparaître. L’universalisation de l’économie de marché rendrait inutile de se faire la guerre. Mais une telle affirmation suppose que les conflits ont pour cause unique les besoins économiques. Quoi qu’il en soit, Mises ne reconnait à l’État qu’une fonction législative supplétive au marché. Refusant catégoriquement toute intervention, les libéraux monétaristes, à la suite de Milton Friedman, font de la monnaie le seul instrument régulateur du marché. David Friedman croit en la disparition future de l’État[7]. Ces théories influencent les politiques libérales des années 1980 de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan. Ces politiques sont qualifiées, à l’époque, d’« ultra libérales ».

     

    IV.  Les libéraux sont unanimes pour affirmer les libertés individuelles.

    Les libéraux adhèrent unanimement à la théorie selon laquelle l’homme est libre et est doté de droits inaliénables[8].

    Le libéralisme est aussi intellectuel. Historiquement, les premières réflexions menées sont celles sur l’existence de droits naturels et sur la tolérance religieuse. La liberté est d’abord un concept. Elle se définit d’abord de manière négative. Elle s’oppose à la contrainte. Un acte contraint n’est pas libre. Un acte libre est un acte spontané. Mais cette définition de la liberté est insuffisante. Les philosophes ont toujours cherché à définir un concept de liberté propre à l’homme. L’animal, comme l’homme, peut agir spontanément et donc « librement ». Les philosophes ont donc cherché à identifier une faculté propre à l’homme qui serait l’instrument de son agir libre. Les philosophes antiques et notamment grecs ont insisté sur le rôle de la raison qui permet de délibérer et d’agir en connaissance de causes. Les philosophes chrétiens ont défendu l’existence d’un libre arbitre, notion qu’ils ont repris aux philosophes stoïciens en lui accordant le pouvoir de choix. Progressivement, les philosophes vont mettre en valeur la volonté comme force infinie aux possibilités multiples.

    De nos jours, les débats sur la conceptualisation de la liberté ne sont pas terminés. Au contraire, ils ont été relancés par le progrès scientifique, le développement de la psychanalyse et de la sociologie. Les facteurs biologiques, physiques, sociaux, psychologiques qui causent nos actes sont de mieux en mieux connus. Les philosophes analytiques américains ont repris le débat[9]. Certains soutiennent que les actes humains sont déterminés. Ils nient l’existence de la liberté et soutiennent une théorie dite « déterministe ». D’autres soutiennent que malgré les déterminismes qui pèsent sur l’homme, celui-ci peut tout de même agir librement. En effet, l’insertion de l’homme dans une multitude de chaines causales crée paradoxalement les conditions de l’agir libre. Ces philosophes soutiennent une théorie dite « compatibiliste ». D’autres soutiennent que l’homme est libre en toute circonstance grâce à son pouvoir d’agir autrement, qu’il dispose d’une « puissance des possibilités alternatives » que les anglo-saxons nomment « free will ». Ils défendent une théorie dite « libertarienne ». Cette théorie a des points communs avec la théorie libérale. Aussi certains philosophes moraux tentent-ils de repenser le lien entre libéralisme et socialisme afin de repolitiser les débats publics désormais marqués à la fois par l’économie et le consensus mou. Aux États-Unis, certains auteurs comme John Rawls, pourtant appelés « liberals », sont assimilés par les libéraux orthodoxes à des partisans du « socialisme réformiste ». Réaliste, John Rawls défend l’idée qu’un projet libéral doit, pour être stable, être admis par tous, qu’il doit donc proposer un projet de justice social qui lui permettre de trouver un équilibre entre les revendications contradictoires des différents courants d’une société[10].

    Les libéraux défendent les libertés individuelles : liberté de pensée, de croire ou non, liberté d’expression, de réunion, de se déplacer, d’entreprendre, de publier, de mener des recherches… Ces libertés individuelles sont celles défendues par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Mais le fait que tous les pays ne reconnaissent pas ces droits comme universels montre les limites d’une telle conceptualisation.

    Historiquement, les libéraux ne s’accordent pas tous sur les libertés politiques. Certains défendent le suffrage universel, d’autres défendent le suffrage censitaire. La démocratie est perçue soit comme le meilleur des systèmes politiques existants, soit comme une utopie. Les libéraux refusent la tyrannie de la majorité. Mais ils sont unanimes pour défendre la liberté des peuples. Leurs idéaux animent notamment les révolutions de 1830 et de 1848. En Europe, le courant démocrate libéral connait des vicissitudes et même des reflux[11]. En France, il est minoritaire, cerné par l’étatisme absolutiste et bonapartiste et par le jacobinisme et le socialisme.

    Murray Rothbard rappelle le droit absolu de tout homme à la propriété de son propre corps, le droit absolu de contrôler les ressources matérielles qu’il a trouvées et transformées, le droit absolu de posséder, de donner et d’échanger[12]. Cette tendance est extrêmement forte dans le monde anglo-saxon et s’inscrit dans une évolution du rapport à soi et aux autres que l’on nomme le transhumanisme.

    Certains libéraux revendiquent une universalité des principes libéraux. Ils défendent l’idée selon laquelle le libéralisme, en promouvant une théorie centrée sur l’individu, est une théorie à la fois méta-politique et méta-culturelle. En ce sens, il existe un libéralisme. Ils refusent d’être accusés de créer les inégalités existantes. Ils se félicitent des progrès du libre échange et des idéaux démocratiques à travers le monde. Ils critiquent ceux qui refusent de comprendre la complexité de l’organisation des échanges dans une société auto-organisée. Ils condamnent à la fois le retour au communautarisme perçu comme une régression et le constructivisme rationnel perçu comme erroné. Les libertés ne se comprennent que dans un monde évolutif et non figé une fois pour toute. En ce sens, le libéralisme ne se définit pas comme une idéologie stricto sensu : il est lui-même adaptable et évolutif. Certains libéraux admettent donc que la mise en œuvre de ces principes soit différente en fonction des époques et des cultures. En ce sens, il existe des libéralismes.

     

    Conclusion : Une définition équivoque du libéralisme est une définition du libéralisme qui en défend une vision politique. Son avantage est de rendre inconciliable tout rapprochement conceptuel avec le socialisme. Mais une définition équivoque du libéralisme, qui conduit à concevoir qu’il existe des libéralismes et non un libéralisme semble une approche moins dogmatique et plus réaliste des théories pensées et vécues depuis le XVIIIe siècle.

     

    Jean-Marc Goglin (Ph D) 


    [1] G. KEVORKIAN dir., La pensée libérale. Histoire et controverses, Paris, Ellipses, 2010.

    [2] M. BIZIOU, Adam Smith et l’origine du libéralisme, Paris, P.U.F., 2003.

    [3] H. ARVON, Les Libertariens américains. De l’anarchisme individuel à l’anarcho-capitalisme, Paris, P.U.F., 1983.

    [4] J.-C. LAMBERTI, Tocqueville et les deux démocraties, Paris, P.U.F., 1983.

    [5] A. SMITH, Théorie des sentiments moraux, Paris, P.U.F., 2011, trad. fr. [1759].

    [6] B. MARIS, Keynes ou l’économiste citoyen, Paris, Presses Universitaires de Sciences Po, 2000.

    [7] D. FRIEDMAN, Vers une société sans État, Paris, 1992, trad. fr.

    [8] P. MANENT, Les libéraux, Paris, Gallimard, 2001.

    [9] C. MICHON, Qu’est-ce que le libre arbitre ?, Paris, Vrin, 2011.

    [10] J. RAWLS, Théorie de la justice, Paris, Seuil, 1987, trad fr.

    [11] P. NEMO, J. PETITOT, Histoire du libéralisme en Europe, Paris, P.U.F., 2006.

    [12] M. N. ROTHBARD, L’éthique de la liberté, Paris, Les Belles Lettres, 1991.

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  • La mondialisation est un processus historique, géographique, territorial toujours en cours. Elle est un processus historique entamé au XVIe s avec la découverte du « Nouveau Monde » et l’extension des échanges. Elle est un processus géographique car elle concerne, à quelques exceptions près, tous les Etats du monde. Elle est un processus territorial car elle impose une réadaptation permanente des aménagements du territoire. La mondialisation s’est accélérée après 1945. Plusieurs facteurs l’expliquent : le développement des moyens de circulation et de communication et la volonté de certains acteurs d’ouvrir les frontières aux échanges. Aussi la mondialisation se manifeste-t-elle par une amplification des flux à l’échelle planétaire. Le phénomène prend une telle ampleur que les économistes anglo-saxons parlent de « globalization ». Le téléphone portable semble illustrer parfaitement ce phénomène. En effet, avec ses 6 MM d’exemplaires vendus dans le monde, il témoigne d’un marché qui dépasse largement le marché étatique ou régional. Comment cet objet usuel, par les acteurs qui interviennent dans sa production, sa commercialisation et son usage, et par les flux qu’ils génèrent, manifeste-t-il le fonctionnement du processus de mondialisation ?

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