• Evolution du Tiers-Monde et des Etats nouvellement indépendants depuis 1955

    1. Les défis à relever.

    En avril 1955, à Bandung, en Indonésie, les représentants de 29 pays d’Asie et d’Afrique se réunissent pour condamner le colonialisme, affirmer leur neutralité dans la guerre froide et exiger une coopération économique internationale. Ces États mettent en avant la solidarité afro-asiatique. Cette conférence marque la naissance d’un ensemble d’États que le démographe français Alfred Sauvy a nommé « Tiers Monde » dès 1952. Ces États regroupent 50% de la population mondiale mais seulement 8% de la richesse mondiale.

    Le premier défi à relever est celui du développement. Pour les théoriciens du « tiers-mondisme », le sous développement du sud est attribué à la colonisation puis à la domination néo-coloniale. Les États font face à une forte croissance démographique. La population africaine augmente de 85% entre 1950 et 1975. Aussi les États peinent-ils à assurer la « sécurité alimentaire » de la population. Certains, comme l’Inde après la famine de 1966, se lancent dans une « révolution verte ». Les États doivent maîtriser l’exode rural qui nourrit les bidonvilles urbains. Les États ne peuvent s’appuyer sur des systèmes économiques structurés. Pour se développer, de nombreux pays adoptent le modèle de l’« économie dirigée » : l’Algérie, l’Inde, le Vietnam ou l’Éthiopie. La stratégie d’industrialisation est souvent inspirée du modèle socialiste. Ceux qui disposent de matières premières les exportent : minerais du Congo, cacao de Côte d’Ivoire… Les autres s’endettent. Tous doivent assurer l’alphabétisation de la population nécessaire au développement.

    Le deuxième défi consiste à construire des États. Les indépendances ont le plus souvent été obtenues suite à une mobilisation encadrée par un parti indépendantiste. Souvent, celui-ci s’impose comme parti unique et prend seul le pouvoir, comme en Algérie. Certains États deviennent des dictatures parfois soutenues par les puissances occidentales. D’autres tentent d’adapter le modèle démocratique occidental. L’Inde se dote d’un système parlementaire sur le modèle britannique. Mais dans la plupart des pays, les libertés d’expression et de vote ne sont pas respectées.

    Le troisième défi consiste à confirmer l’indépendance politique et économique. Or les anciennes métropoles réagissent violemment aux premières tentatives d’indépendance économique. Lorsque le 25 juillet 1956, Gamal al-Nasser proclame la nationalisation du canal de Suez, Français et Britanniques, soutenus par Israël, interviennent militairement. Mais l’Égypte reçoit le soutien diplomatique des États-Unis et de l’URSS. L’issue du conflit est présentée comme une revanche du Tiers-Monde sur les anciennes métropoles.

    Les États maintiennent leur volonté de coopérer. En 1960, les pays exportateurs de pétrole dont l’Arabie Saoudite et le Venezuela créent l’OPEP. En septembre 1961, à Belgrade, en Yougoslavie, 25 États fondent le mouvement des « non-alignés » qui rejette toute alliance avec une grande puissance. En 1963, les États africains fondent l’Organisation de l’Unité Africaine. En 1967, les Philippines, la Malaisie, l’Indonésie, Taïwan et Singapour créent l’ASEAN. Mais les États pèsent peu dans les grandes institutions internationales comme l’ONU ou le GATT (remplacé par l’OMC en 1995). L’entente des non alignés ne dure pas.

     

    2. Une unité difficile à maintenir.

    Les États ont des difficultés à se structurer. Souvent, les systèmes politiques mis en place sont instables. L’encadrement administratif est insuffisant et parfois corrompu. Les élites politiques sont contestées. Les appartenances ethniques ou religieuses déterminent les oppositions. Les États ont des problèmes d’unité intérieure. Les frontières ont parfois été tracées sans tenir compte des traditions historiques et des ethnies présentes. Les ethnies se disputent le pouvoir. Les minorités se révoltent : Tibétains, Kurdes, Sikhs du Pendjab… L’Afrique est le continent le plus touché par les conflits intérieurs et les tensions frontalières. Les conflits sont nombreux, longs et meurtriers : au Rwanda, entre avril et juillet 1994, 1 M de Tutsis sont massacrés par les Hutus soutenus par le pouvoir ; au Darfour (Soudan), entre 2003 et 2007, 200 000 civils sont tués durant la guerre civile. Parfois, les États s’affrontent : au Cambodge, entre 1978 et 1979, les Vietnamiens chassent les Khmers rouges et occupent le pays.

     

    3. Des États aux évolutions économiques différentes.

    En 1964, 77 États obtiennent la création de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement dont l’objectif est de renforcer la solidarité internationale. Ils exigent qu’au moins 1% du PIB des pays industrialisés soit destiné à l’aide au développement. Mais l’écart entre les pays industrialisés et ces pays ne cesse de se creuser. Les pays exportateurs de matières premières subissent les variations des prix du marché. Les pays endettés subissent les hausses des taux d’intérêt. Les pays industrialisés contrôlent les échanges. Seuls les pays exportateurs d’hydrocarbures s’enrichissent. En avril 1974, une session extraordinaire de l’ONU réclame un nouvel ordre économique mondial.

    L’Asie et l’Afrique connaissent des décollages économiques décalés. L’Asie, considérée comme « indéveloppable » dans les années 1960, connait une croissance économique rapide. Certains États, offrant une main d’œuvre peu qualifiée et sous payée, deviennent des pays ateliers pour les pays industrialisés. La Corée du Sud, Hong Kong, Taïwan et Singapour, s’inspirant du modèle économique japonais, sont devenus des NPIA. La Chine et l’Inde ont su attirer les entreprises étrangères. S’ouvrant aux capitaux étrangers, créant des zones économiques spéciales sur son littoral, la Chine est devenue, à partir des années 1980, l’atelier du monde. Aujourd’hui, de nouveaux pays ateliers asiatiques la concurrencent. En Afrique, certains États, comme le Maroc, sont qualifiés de « pays intermédiaires ». Mais beaucoup restent très pauvres. Ces États forment le groupe répertorié par l’ONU des « pays les moins avancés ». Les agricultures vivrières y sont souvent délaissées au profit des agricultures d’exportation. La population souffre encore de la malnutrition et des grandes pandémies comme le SIDA (http://blog.ac-rouen.fr/lyc-bloch-notes/2014/09/02/linegal-acces-a-la-sante-dans-le-monde/). Les États souffrent d’un manque d’infrastructures : hôpitaux, écoles, adduction d’eau… Ils sont surendettés. La notion de Tiers-Monde est devenue synonyme de pauvreté.

    Les écarts de richesses internes sont très marqués. Une partie de la population s’est enrichie. La Chine est aujourd’hui le pays qui compte le plus de millionnaires. Une classe moyenne émerge. Mais la population reste majoritairement très pauvre. En 2008, 22% de la population mondiale vit dans une pauvreté extrême avec moins de 1,25 dollar/jour. Ce chiffre est en baisse constante mais le recul n’est pas constant et identique dans toutes les régions. L’Afrique reste le continent le plus pauvre. Les 20 pays les plus pauvres du monde sont africains. Certains habitants se lancent dans les trafics illicites ou cherchent à émigrer. L’accès à la scolarisation, aux soins et à l’eau potable restent des défis majeurs. Au Niger, 90% des femmes et 80% des hommes sont analphabètes. Au Mali, on compte 1 médecin pour 10 000 habitants. Au Niger, moins de la moitié de la population a accès à l’eau potable. Les ONG réclament, depuis les années 1970, un droit d’ingérence humanitaire mais cette demande est contestée au nom du « droit des peuples à disposer d’« eux-mêmes ».

    Aujourd’hui, certains États sont considérés comme « émergents » : la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud… Depuis 2008, le G20 tente de faire dialoguer pays industrialisés et ces pays mais les pays industrialisés imposent encore leurs choix économiques. Depuis 2011, l’entente des BRICS tente de faire entendre la voix des grands pays émergents mais les rivalités internes nuisent à une diplomatie commune et efficace.  Pourtant les BRICS représentent 45% de la population mondiale, ¼ de la richesse mondiale et les 2/3 de la croissance mondiale. En juillet 2014, ils lancent leur banque de développement. En octobre 2014, la Chine est présentée comme la première puissance économique mondiale. Cela révèle un paradoxe : elle n’est toujours considérée que comme une puissance « émergente » aux écarts de richesses intérieurs très marqués.

     

    Jean-Marc Goglin

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