• Texte publié : http://blog.ac-rouen.fr/lyc-bloch-notes/2016/03/03/la-laicite-entre-modeles-top-down-et-bottom-up/

     

    La loi du 9 décembre 1905 (http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000508749) a été pensée et votée comme une loi de conciliation. Aboutissement d’un processus de laïcisation entamé depuis au moins le XVIIIe siècle, elle sépare l’État et les Églises catholique, protestante et juive[1]. Elle garantit la neutralité de l’État. Celui-ci ne doit ni ne peut privilégier aucun culte et garantit à chacun la liberté de consciences, c’est-à-dire la liberté de croire ou de ne pas croire, et la liberté de culte. Cette loi est un principe. Elle ordonne des comportements. Par exemple, tout agent de l’État doit respecter une « stricte neutralité ». En cela, comme toute loi, la loi de 1905 est normative. Conçue ainsi, la loi de 1905 répond à un modèle « top down », c’est-à-dire un modèle normatif, imposé du haut au bas.

     

     Dans sa note d’orientation du 27 mai 2014, l’Observatoire de la laïcité remarque que « la France se caractérise aujourd’hui par une diversité culturelle plus grande que par le passé » (http://www.gouvernement.fr/qu-est-ce-que-la-laicite). Il invite l’État à faire face aux nouveaux enjeux contemporains. Le contexte a en effet changé depuis 1905 : la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950, insiste sur la préservation des libertés individuelles et le refus de toute discrimination et notamment religieuses ; les pratiquants sont désormais minoritaires et l’islam est devenu la deuxième religion de France. L’Observatoire définit la laïcité comme ce qui « garantit à tous les citoyens quelles que soient leurs convictions philosophiques ou religieuses, de vivre ensemble dans la liberté de conscience, la liberté de pratiquer une religion ou de n’en pratiquer aucune, l’égalité des droits et des devoirs, la fraternité républicaine ». Explicitement, il rappelle que la laïcité « n’est pas une conviction mais le principe qui les autorise toutes, sous réserve du respect des principes de liberté de conscience et de liberté des droits ». Selon cette approche, la loi de 1905 garantit les libertés individuelles. Elle permet donc l’adoption d’un nouveau modèle « bottom up », c’est-à-dire un modèle fondé sur les initiatives de la base.

     

    Ces deux modèles répondent à deux logiques inverses et suscitent des interrogations.

     

    Conçue selon le modèle « top down », la loi de 1905 impose des comportements qui, pour être bien vécus, doivent être acceptés, intériorisés. Elle nécessite donc un apprentissage et contribue à « construire » les individus. Néanmoins, la laïcité ne peut pas être définie comme une valeur. Cela ne signifie pas qu’il est impossible individuellement, par choix et conviction, de l’adopter comme telle. Mais la laïcité ne peut être imposée collectivement comme telle. Toute valeur, quelle qu’elle soit, est indivisiblement l’objet d’un désir et l’objet d’un jugement. Si l’un ou l’autre de ces facteurs manquent, indépendamment du fait d’accorder la primauté à l’un ou à l’autre, la valeur disparait. Définir la laïcité comme une valeur collective aurait mené à deux dangers : soit la rendre normative et donc conduire à une restriction de la liberté de pensée, soit la rende relative et discutable et par conséquent la soumettre à une menace de disparition.

     

    Conçue selon le modèle « bottom up », la loi de 1905 crée donc un espace de liberté. Définie comme « émancipatrice », la laïcité autorise des comportements dont les seules limites posées sont le « trouble à l’ordre public » et la remise en cause des principes républicains et de laïcité. L’Observatoire admet qu’il est possible qu’un comportement, s’il est perçu comme une menace ou une agression symbolique, puisse créer un sentiment d’hostilité. Il promeut donc la tolérance et le dialogue entre les individus. Le modèle « bottom up » montre ici sa limite. Comment définir le degré de perception de la menace ou de l’agression symbolique ? Comment définir le « ressenti », notion entièrement subjective, qui combine émotions et cognitions propres à chacun ? S’il entend promouvoir un concept maximaliste de la laïcité conçu comme un « vivre ensemble » parfait, ce nouveau modèle crée les conditions d’une laïcité minimaliste dans laquelle la tolérance reprendrait son sens originel inspiré de la philosophie stoïcienne, à savoir « de supporter faute de pouvoir faire autrement »[2].

     

    Les évolutions actuelles sont intéressantes à observer mais elles ne sont pas sans susciter des inquiétudes. Elles invitent à s’interroger sur les comportements autorisés. Plus que jamais, une éthique est nécessaire. Comme les philosophes analytiques américains le rappellent, la loi s’applique mais aussi se pense[3]. Ce n’est pas parce que l’on peut que l’on doit. À chacun de réfléchir à ses actes et de trouver l’équilibre. Mais laisser l’individu seul arbitre de son agir et mettre en avant l’homéostasie comme moyen principal de régulation des conflits est un pari optimiste mais aussi une prise de risque pour la vie sociétale.

     

    Jean-Marc Goglin (Ph D)

     

     

    [1] J. LALOUETTE, La séparation des Églises et de l’État, Paris, Seuil, 2005.

     

    J.-M. GOGLIN, http://hist-geo.spip.ac-rouen.fr/spip.php?article5755 ; http://www.dailymotion.com/video/x398i1a_separationegliseetat1905_school

     

    [2] J. LECLER, Histoire de la tolérance au siècle de la Réforme, Paris, Albin Michel, 1994, nouvelle éd.

     

    [3] A. G. AMSTERDAM, J. BRUNER, Minding the law, Harvard University Press, 2002.

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    La reconstruction et le début de la guerre froide amènent les États de l’Ouest de l’Europe à se rassembler sous la pression des États-Unis. Faisant suite au Congrès de La Haye (Pays-Bas), les premières institutions européennes, l’OECE (1948), le Conseil de l’Europe (mai 1949) soudent des États européens, dont la France et l’Allemagne, autour des valeurs démocratiques, de la relance économique et de la sécurité commune. Progressivement, les liens institutionnels se renforcent : la CECA (1951) puis la CEE (1957) sont les institutions de politiques économiques communes qui rassemblent des États européens de plus en plus nombreux. Pourtant, l’efficacité de ses institutions s’essouffle progressivement. Suite au refus des chefs d’Etat et de gouvernement d’adopter un projet de constitution européenne en 1984, le problème de la gouvernance politique de l’Europe se repose ouvertement. En 1986, le président de la Commission européenne, Jacques Delors, lance le projet d’Acte unique qui doit accélérer l’adoption de politiques communes. Les États sont alors au nombre de 12. De profondes divergences demeurent sur la forme politique que doit prendre la Communauté européenne : union ou fédération ? L’Acte unique entre en vigueur le 1er juillet 1986.

     

    Lire aussi : http://jmgleblog.eklablog.com/le-projet-d-une-europe-politique-depuis-1948-a125993398

     

    Des institutions fondées sur des compromis.

     

    Les traités sont le moteur de l’intégration européenne. Malgré l’opposition des souverainistes, le traité de Maastricht, signé en février 1992, institue une Union européenne. Le traité confirme le rôle des institutions européennes construites sur des compromis. La Commission européenne qui a l’initiative des directives et des lois fonctionne sur un mode supra gouvernemental. Le Conseil européen, créé en 1974, composé des chefs d’État et de gouvernement, fonctionne sur le mode intergouvernemental. Le Parlement, dont les membres issus de chaque État sont élus au suffrage universel depuis 1979, n’a encore qu’un rôle consultatif. Le traité crée une citoyenneté européenne (a. 8). Tout citoyen européen majeur obtient le droit de vote et d’éligibilité dans son pays de résidence. Le traité instaure une politique étrangère et de sécurité communes ; une coopération policière et judiciaire en matière pénale. La Cour européenne des droits de l’homme, établie en 1959, acquiert un rôle essentiel. Enfin, le traité renforce l’intégration des politiques économiques. La libre circulation des personnes est garantie par la convention de Schengen de 1995. Une monnaie unique, l’euro, est adoptée en 1999 et mise en circulation en 2002. Une Banque centrale européenne est instituée. Le sentiment d’appartenance à un espace commun doit se renforcer.

     

    Des États membres de plus en plus nombreux.

    L’U. E. intègre de nouveaux États. Le sommet de Copenhague de 1993 a permis de fixer des critères d’adhésion : http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/union-europeenne/fonctionnement/enjeux-reformes/quelles-sont-conditions-modalites-adhesion-union-europeenne.html. La chute définitive du communisme en 1991 permet son l’extension de l’U. E. vers l’Est. 1995 : l’Autriche, la Suède, la Finlande ; 2004 : Pologne… ; 2007 : Roumanie et Bulgarie ; 2013 : Croatie. L’U. E., aujourd’hui à 28, peine à définir une gouvernance européenne admise par tous. Les élargissements territoriaux suscitent perplexité et inquiétudes. Les Européens s’interrogent sur les limites géographiques et culturelles de l’Europe. La candidature de la Turquie révèle ces difficultés. Les partisans soulignent ce qu’apporterait l’entrée de la Turquie : dynamisme démographique, vitalité économique, ouverture géopolitique sur le Moyen Orient. Les opposants reprennent ces arguments mais de manière inverse. Pourtant, le projet d’élargissement n’est terminé : les entrées de l’Ukraine, du Kosovo, de la Moldavie ou de la Biélorussie sont évoquées (http://www.europeenimages.net/video-l_comme_libre_echange-id-2241.html). Certains évoquent une UE à 35 Etats.

     

    Des institutions remises en question.

                Les institutions sont remises en question. Certains États, comme l’Angleterre, n’adhèrent ni à l’euro ni à l’espace Schengen. Les traités d’Amsterdam (1997) et de Nice (2001) tentent d’améliorer le fonctionnement institutionnel. Le 26 février 2001, le traité de Nice institue la Charte des droits fondamentaux (http://www.touteleurope.eu/l-union-europeenne/les-droits-fondamentaux/synthese/la-charte-des-droits-fondamentaux-de-l-union-europeenne.html) qui reconnait à tous les habitants de l’UE liberté, dignité et solidarité. Le 29 octobre 2004, les chefs d’État et de gouvernement de 25 pays signent un traité établissant une constitution européenne. Mais ce traité est rejeté par les Français et les Néerlandais en 2005. La crainte de la perte de la souveraineté nationale justifie ce choix. En 2007, le traité dit « simplifié » de Lisbonne est adopté pour améliorer le fonctionnement des institutions. Il rappelle que le fonctionnement institutionnel est fondé sur la démocratie participative (a. 8). Il crée un droit d’initiative autorisant les citoyens en nombre suffisant (1 M) à s’adresser directement à la Commission pour lui soumettre une proposition. Il étend le vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil européen. Il renforce le rôle du parlement européen. Il invite les partis politiques à participer à la formation d’une « conscience politique » européenne.

     

    Des efforts de démocratisation jugés insuffisants.

    Malgré les efforts de démocratisation des institutions européennes, les populations européennes manifestent un désintérêt voire un euroscepticisme. La première critique porte sur la complexité des prises de décision. Sur le plan politique, l’adoption des lois à l’échelon national repose sur le principe de subsidiarité. Les rôles des différents acteurs n’est pas toujours bien connu. Aussi les politiques nationaux eux-mêmes en profitent-ils pour accuser « Bruxelles » des décisions impopulaires. Sur le plan économique, l’U. E. encourage localement l’émergence d’activités économiques tout en imposant des normes contraignantes. Le cumul de ces deux approches semble impossible. Aussi, la Commission de Bruxelles est-elle assimilée à un rassemblement de technocrates qui imposent des décisions inadaptées aux réalités locales. En conséquence, le taux de participation aux élections européennes ne cesse de diminuer depuis 1979. Les dernières élections européennes de 2014 se caractérisent par un fort taux d’abstention et l’élection de députés issus de partis populistes. Un des défauts de fonctionnement de l’U. E. est son manque de politique sociale. Les institutions considèrent qu’elles relèvent des États. Mais ce manque conduit à accuser les institutions européennes de mettre en concurrence les territoires et les mains d’œuvre et de contribuer à favoriser un appauvrissement des salariés. La crise financière et sociale que connait l’U.E. depuis 2011 renforce le sentiment anti-européen. Les Etats les plus touchés comme la Grèce et l’Espagne subissent des réformes qui leur semblent imposer de l’extérieur. Les gouvernements peinent à s’entendre sur une politique commune de sortie de crise. Le gouvernement français souhaite une mutualisation des dettes publiques. Le gouvernement allemand refuse. La "crise des migrants" venus de Syrie renforce le sentiment d'une Europe désunie. En 2016, le Premier ministre David Cameron organise un référendum sur le maintien de la Grande-Bretagne. Les Britanniques votent en faveur de la sortie de l'UE. Est-ce le début d'une désintégration de l'U.E. ? 

     

     

    L’idéal d’une gouvernance européenne est aujourd’hui remis en cause. Politiques et citoyens peinent à réinventer un projet européen adapté et convaincant.

    Jean-Marc Goglin

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