• La Russie : un État-continent eurasiatique réémergent?

    La Russie contemporaine naît de l’éclatement de l’URSS, survenue le 25 décembre 1991. Elle perd alors 24% de son territoire et son statut de super puissance. La volonté russe de retrouver son rang entraîne une restructuration du territoire.

     

    I.                Des atouts majeurs mais des contraintes majeures…

    La superficie du territoire est le principal atout de la Russie. Ses 17M de km² en font le territoire le plus vaste du monde, de 9000 km de longueur et de 3000 km de largeur. Ce territoire est doté de ressources naturelles nombreuses et variées : hydrocarbures (pétrole, gaz/Bakou II, Bakou III), minerais, bois… La Russie exploite ses matières qu’elle exporte (=80% des exportations russes). Ce marché est tellement essentiel que l’Etat a repris le contrôle des entreprises d’extraction. La difficulté porte sur leur exploitation. En effet, la Russie est le « pays du froid ». Le climat est continental en Europe, polaire en Sibérie. Les hivers sont longs et rigoureux. Les 2/3 du territoire ont des moyennes de janvier inférieures à -20°C et connaissent plus de 6 mois de gel dans l’année. Moscou connait des températures de -40° C. Le printemps connaît une fonte des glaces (débâcle) qui rend la circulation terrestre difficile Le sol est gelé en permanence à certains endroits (pergélisol). Les fleuves qui s’écoulent du Sud vers le Nord sont souvent impraticables. En conséquence, la Russie est marquée par l’opposition entre Russie d’Europe (80% de la pop sur 25% du territoire) et Sibérie (20% de la pop sur 75% du territoire). Les ressources disponibles sont de plus en plus éloignées des foyers de peuplement. Ce qui entraîne une augmentation des coûts d’extraction et de transport. Son projet géostratégique est d’exploiter les réserves pétrolières de l’Arctique.

     

    II.              Des mises en valeur difficiles et ponctuelles.

    La Russie possède 40000 km de littoraux. Elle développe ses façades maritimes afin de faciliter son insertion dans la mondialisation. La façade Saint Pétersbourg-Mourmansk, sur la Baltique et la mer Blanche, permet d’échanger avec l’Europe. La façade Pacifique Sakhaline-Vladivostok permet d’échanger avec l’Asie. Saint-Pétersbourg, 5 M d’hab, est la « vitrine » des transformations russes. SP est une ville-musée, dont l’Ermitage est le plus beau fleuron, qui attire les touristes étrangers. Le quartier culturel et commerçant de la Petite Hollande est réputé. Mais SP est également une ville industrielle. Son activité portuaire a nécessité la création d’avant-ports. Mais la circulation maritime reste difficile. Le cabotage reste peu pratiqué. Il n’existe pas de liaison entre la façade européenne et la façade Pacifique à cause de la glace. La Russie espère un jour voir s’ouvrir la Route Maritime du Nord.

    La Russie reste un territoire essentiellement terrestre. Cependant, elle possède un réseau de transport terrestre insuffisant. Le réseau ferroviaire reste favorisé. Mais il possède trois insuffisances majeures : sa densité est faible (nette opposition Est/Ouest), ses axes sont trop centrés sur Moscou, ses équipements restent de mauvaise qualité : vitesse insuffisante, notamment pour le transport des passagers, vétusté des ponts… Un effort a été fait avec l’ouverture d’une LGV entre Moscou et Saint-Pétersbourg. Mais les liaisons entre Moscou et la Sibérie restent lentes et difficiles. Le Transsibérien a été ouvert en 1904. Le Baïkal-Amour-Magistral a été ouvert en 1984. Vladivostok se trouve à 9 jours en train de Moscou. Le transport routier reste insuffisamment développé. Seul le transport aérien semble adapté au transport de passagers. Mais la Russie espère maîtriser à termes les flux terrestres entre l’Asie et l’Europe. Elle construit gazoducs et oléoducs afin d’acheminer ses hydrocarbures vers l’U.E. et la Chine qui sont ses principaux acheteurs. Le Nordstream, ouvert vers l’Allemagne depuis 2011, est une prouesse technique. Un projet Southstream vers la Turquie est envisagé.

     

    III.            Des régions plus ou moins dynamiques.

    L’espace le plus dynamique reste l’espace central, organisé autour de Moscou. Moscou, 14 M d’hab, est la capitale politique (Kremlin), administrative et économique de la Russie et une métropole à l’influence politique internationale croissante. Moscou accapare entre 40 et 80% des IDE. Une agriculture périurbaine se développe. Les industries héritées de l’époque soviétique restent d’une vigueur exceptionnelle. De nouvelles industries liées aux hautes technologies se sont implantées. Le tertiaire explose : banques, assurances, communications… Le quartier d’affaires de Moscou-City est représentatif de cette évolution. S’y trouvent sièges sociaux des FTN russes, Loukoil et Gazprom, et sièges sociaux des FTN étrangères. Gazprom est la 1ère firme russe. Elle diversifie ses activités n investissant dans l’agriculture et le tourisme et en rachetant des entreprises étrangères. La stratégie de Gazprom, couverte par le Kremlin, pose réels problèmes géopolitiques. Moscou souhaite encore développé l’accueil touristique qui a chuté. Cet espace central est l’espace le plus riche de Russie. Néanmoins, les fortunes élevées des « nouveaux Russes » côtoient la grande pauvreté. Le chômage russe est record. Les femmes sont particulièrement touchées. L’espérance de vie a chuté de 73 ans en 1991 à 63 ans depuis 2001. 25 M de Russes vivent sous le seuil de pauvreté.

    Les périphéries intégrées correspondant à l’ensemble de la Russie et à la partie Sud de la Sibérie. Ces espaces sont soit industrialisés soit agricoles. Les espaces industrialisés sont situés le long de la Volga et de l’Oural. Les espaces agricoles sont situés dans le Sud, entre le Don et la Volga. Ils correspondent aux Terres Noires fertiles. Tous ces espaces ont souffert de l’abandon du communisme et de la transition vers l’économie de marché imposée par le gouvernement. De nombreuses industries ont fermé : machine-outil, textile… Le Complexe militaro-industriel et la chimie sont en grandes difficultés. La métallurgie et la sidérurgie restent dynamiques. L’afflux de capitaux étrangers ont permis une certaine diversification des activités industrielles : électronique et électroménager. Les exploitations agricoles ont vu leurs productions s’écrouler. Les terres ont été privatisées mais les productions agricoles restent insuffisantes. Les cultures céréalières restent soumises aux variations climatiques. L’élevage est insuffisant. Les IAA (Bonduelle) sont encore trop peu nombreuses. Le Sud de la Sibérie bénéficie de la présence de gisements de matières premières : Norilsk (minerais), Kouzbass (charbon), Nerioungri (pétrole). Les villes comme Novossibirsk, situées le long du Transsibérien, sont des îlots de richesse. Néanmoins, l’éloignement de Moscou se fait sentir. L’extrême Orient envisage de faire sécession. Il se sent davantage asiatique qu’européen. Il constate l’impuissance de Moscou à empêcher l’installation de Chinois (1 à 5 M) le long de l’Amour qui défrichent et déforestent au bénéfice de la Chine. Vladivostok, port militaire devenu commercial, s’ouvre à la Chine et au Japon.

    La périphérie marginalisée correspond au Nord de la Sibérie. La forêt couvre plus de 45% du territoire. La densité de pop est inférieure à 2 hab/km². Kaliningrad, exclave de 15100 km au sein de l’UE, reste un territoire à part. Moscou en a fait une zone franche afin d’obtenir les IDE de l’UE. Cet espace a noué des relations étroites avec les États limitrophes au sein d’euro-régions.

    La Russie souhaite devenir une grande puissance et espère bénéficier de sa situation géographique pour devenir une interface majeure entre l’Europe et l’Asie. Fort des bénéfices liés à l’exploitation de ses hydrocarbures, la Russie est devenue une puissance ré-émergente, intégrant le groupe des BRICS. Néanmoins, sa situation d’État rentier laisse des doutes sur son évolution économique et politique future. D’autant que la Russie s’insère encore peu dans la mondialisation. Si elle ne représente qu’1% du commerce mondial, elle est entrée à l’OMC le 22 août 2012.

    Des questions à se poser concernant la Russie : 

    • Peut-on classer la Russie parmi les pays émergents ? Ou peut-on définir la Russie comme ré-émergente?
    • Peut-on parler de pays émergent dans le cas d’une économie de rente ? Un pays émergent qui n’investit pas peut-il continuer à se moderniser ?
    • Les investissements russes sont-ils suffisants dans le domaine énergétique ?
    • Quelle est la stratégie de réinvestissement si celle-ci existe ?
    • La Russie propose-t-elle une variété nouvelle de capitalisme fondée sur les décombres de l’appareil communiste ?
    • Le rôle économique de l’État représente-t-il un risque pour l’émergence en cours ?
    • L’émergence s’est-elle traduite par l’apparition d’une bourgeoisie dotée d’une capacité à entreprendre de façon autonome à Moscou ou dans les régions ?
    • La société russe accepte-t-elle d’être de plus en plus inégalitaire ?
    • Comment un pays qui vieillit si vite peut-il se projeter dans l’avenir ?
    • Peut-on envisager la création d’une « zone rouble » dans l’ancien espace soviétique ?
    • Existe-t-il aux frontières de la Russie une forme de périphérie opposée à toute politique d’expansion et désireuse d’indépendance ?
    • Peut-on parler d’interdépendance ou de dépendance ?

     

    Jean-Marc Goglin

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