• Texte : Clausewitz et la guerre. Analyse de R. Aron

    Au point de départ, le modèle le plus simple, celui du duel, qui suggère une première  définition de la guerre, épreuve de volonté avec l’emploi de la violence physique.  L’analyse du modèle conduit à la théorie de l’ascension aux extrêmes [...] et de la guerre absolue [...].

    En un deuxième moment, Clausewitz réintroduit les éléments  principaux que le modèle a négligés : l’espace (un État n’est pas un lutteur, il dispose  d’un territoire, d’une population) ; le temps (le sort d’une guerre, d’une bataille, d’un  État ne se décide pas en un seul instant) ; l’asymétrie entre l’attaque et la défense, qui rend compte de la suspension des opérations ; enfin la politique, qui fixe la fin de la  guerre elle-même et, en fonction de l’ensemble des circonstances, des intentions  supposées de l’ennemi et des moyens disponibles, détermine le plan de guerre, la mesure des efforts. Le premier chapitre, résumé de la philosophie du traité tout entier,  aboutit à une deuxième définition [...] du phénomène guerre, étrange triade de la  passion (le peuple), de la libre activité de l’âme (le chef de guerre) et de l’entendement  (la politique, l’intelligence personnifiée de l’État).

    [...] La pensée de Clausewitz se prête à deux interprétations, non pas contradictoires  mais divergentes. Ou bien on retient pour centre de sa pensée la bataille  d’anéantissement [...]. Ou bien on fixe son attention sur l’autre versant de sa pensée :  la guerre continuation de la politique par d’autres moyens ou avec l’addition d’autres  moyens, donc la primauté de l’homme d’État sur le chef militaire, l’affirmation répétée  que la guerre absolue ou idéale est la plus rare dans l’histoire, que la plupart des  guerres, mesurées à la guerre absolue, ne sont que des demi-guerres. [...]

    Comparée au XXe siècle, la période révolutionnaire et napoléonienne ne semble  qu’une pâle répétition d’une pièce d’horreur à grand spectacle.

    Source : Raymond Aron (1905-1983), politologue universitaire, enseignant à l’ENA, l’IEP de Paris, l’EHESS…in Mémoires, Paris, Julliard, 1983, p. 646-649.

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