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Mémoires Seconde Guerre mondiale
La mémoire est à la fois le moyen par lequel on se souvient de quelque chose et ce dont on se souvient. La mémoire permet l'apparition du passé dans le présent.La mémoire peut être sélective, traumatique et douloureuse ou magnifiée et transformée.
Lire : http://jmgleblog.eklablog.com/histoire-memoire-seconde-guerre-mondiale-a174324828
Les événements dont il faut se souvenir :
-la Seconde Guerre mondiale : http://jmgleblog.eklablog.com/les-grandes-phases-de-la-seconde-guerre-mondiale-1939-1945-a126177366
-Vichy, la Résistance et la refondation de la République : http://jmgleblog.eklablog.com/vichy-la-resistance-et-la-refondation-de-la-republique-a126548872
L'histoire est un récit et une analyse des faits contextualisés et mis en perspective. Les historiens s'interrogent sur les rapports entre la mémoire et l'histoire.
Comment les historiens ont-ils contribué à faire évoluer les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France ?
I. Des mémoires traumatisées et partiales.
- La mémoire gaullienne.
1944 : Les Français se lancent dans une chasse aux collaborateurs.
1945 : Philippe Pétain et Pierre Laval sont traduits en justice.Ils sont condamnés à mort.
Charles de Gaulle transforme la condamnation de Pétain en peine de prison.
Il donne la priorité à la restauration de l’État et de l'unité nationale. Il autorise une épuration légale.
Il déclare le régime de Vichy comme "nul et non avenu". Il proclame la continuité de la République.
Charles de Gaulle impose une interprétation des faits : Vichy devient une parenthèse dans l'histoire de la République, la République a continué d'exister par la "France de Londres".
Cette interprétation est justifiée par l'appel du 18 juin 1940.
- La mémoire communiste.
Le PCF propose une autre mémoire de la Seconde Guerre mondiale.Il se proclame le « parti des 75 000 fusillés ».Ce chiffre est alors invérifiable. Mais il impose le PCF comme le parti politique qui a résisté.Le PCF définit la résistance comme un sursaut de l'ensemble du peuple français face à l'occupant mais aussi ses dirigeants.Le PCF fait des communistes résistants, tel Guy Môquet, de véritables héros.Source : Service historique de la défense34 rue Baron, Paris.Le PCF encourage la publication des autobiographies des résistants.Le PCF a une mémoire partiale. Il occulte le fait que les communistes ne sont entrés en résistance qu'à partir de l'attaque de l'URSS par l'Allemagne en juin 1941.- Des mémoires qui s'affrontent.
Les mémoires gaulliste et communiste s'affrontent.Les gaullistes présentent de Gaulle comme le sauveur de la France.Les communistes minorent son rôle.L'enjeu est la prise du pouvoir en France.Éloigné du pouvoir, de Gaulle publie ses Mémoires de guerre.Il y présente sa vision des faits.
- Des mémoires qui oublient et sélectionnent.
Les mémoires occultent les vaincus de la guerre et les collaborateurs.En 1947, 1951 et 1953, des lois amnistient les anciens collaborateurs.Celle de 1953 amnistient les "malgré nous", les Alsaciens enrôlés de force dans l'armée allemande qui ont participé au massacre de 642 civils à Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944.Les mémoires occultent le rôle de Vichy.Le cinéma glorifie les résistants : La bataille du rail de René Clément de 1946.Les manuels scolaires présentent la France occupée mais résistante.Certaines mémoires mythifient le maréchal Pétain, toujours présenté comme le "vainqueur de Verdun".Affiche de 1951 favorable à la réhabilitation de Philippe Pétain.En 1954, dans son Histoire de Vichy, Robert Aron popularise la thèse "du bouclier et de l'épée".Philippe Pétain (le "bouclier") aurait protégé les Français, simulé la collaboration, tandis que Charles de Gaulle ("l'épée") aurait, lui, combattu les Allemands. Cette thèse donne aux deux hommes un rôle complémentaire. De fait, tous les Français auraient été résistants.Le "mythe résistancialiste" s'impose relayé par l'enseignement et le cinéma : Paris brule-t-il ? de René Clément et La grande vadrouille de Gérard Oury, sortis en salles en 1966.En 1987, l'historien Henry Rousso explique qu'un "syndrome de Vichy" a marqué les Français.Les mémoires occultent la spécificité des politiques d'extermination. La politique d'extermination est liée à celle de la déportation. La déportation est présentée comme étant l'œuvre des nazis.En 1956, Alain Resnais, présente Nuit et Brouillard, le premier film à révéler au grand public l'univers concentrationnaire. Mais les images montrant le rôle actif de policiers français ont été censurées.Image censurée : Camp de Pithiviers, 1942.Source : http://clioweb.free.fr/camps/kepi.jpgLes mémoires gaulliste et communiste déclinent à partir des années 1960.Une nouvelle génération qui n'a pas connu la guerre s'interroge et interroge la génération précédente.
- La mise en place d'une mémoire officielle.
Certains sites devient des lieux de mémoire :1960 : un mémorial de la France combattante est ouvert au Mont-Valérien à Suresnes (Hauts-de-Seine).Source : http://www.mont-valerien.fr/En 1961, l’État propose aux jeunes scolarisés de participer au Concours national de la Résistance.En 1964, les cendres de Jean Moulin, organisateur du Conseil National de la Résistance, torturé par la gestapo, sont transférées au Panthéon.Vidéo : André Malraux, discours.Des rues prennent le nom des résistants : Jean Moulin...Des sites sont préservés :-Camp du Struthof :-Oradour sur Glane :-Plages et cimetières militaires de Normandie :Ex : Site de la Pointe du Hoc :Source : http://www.dday-overlord.com/wp-content/uploads/2016/02/carte_cimetieres_normandie-1.gif
Ex Cimetière américain de Colleville sur Mer (Calvados) :
II. L'histoire bouleverse les mémoires.
- La lente multiplication des recherches et analyses historiques.
En 1951, un comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale est créé. Il est chargé de collecter les témoignages des résistants et de conserver les archives.
Les universités encouragent la rédaction de travaux universitaires et notamment de thèses.
Les premiers historiens de la résistance sont d'anciens résistants.
La recherche est bouleversée par les apports des universitaires anglo-saxons et notamment américains.
1979 : Les archives françaises deviennent accessibles aux historiens.
- L'affirmation de la mémoire de la Shoah
La notion de crime contre l'humanité est définie dès 1945.Pourtant la mémoire juive n'est pas reconnue spécifiquement en France. Pourtant les intellectuels chrétiens ont transmis dès la fin de la Seconde Guerre mondiale la spécificité du génocide juif.Simone Veil témoigne : "Nous n'avons pas parlé parce qu'on n'a pas voulu nous écouter".Un événement réveille les mémoires : en 1961-1962, Adolf Eichmann, un des responsables de la Shoah, est arrêté et jugé à Jérusalem, en Israël. Des rescapés témoignent.Source : https://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20160208.OBS4238/annette-wieviorka-le-proces-eichmann-a-permis-de-comprendre-la-rationalite-nazie.htmlEn 1963, une pièce de théâtre allemande Le Vicaire fait scandale. Elle met en cause le pape Pie XII dans la non dénonciation du génocide juif.Une mémoire juive militante émerge.En 1964, les crimes contre l'humanité sont déclarés imprescriptibles.Les cinéastes révèlent les horreurs de la Shoah : Marvin J. Chomsky avec Holocaust en 1979 et Claude Lanzmann avec Shoah en 1985.Les révélations sur la Shoah sont contredites par des "négationnistes" comme Robert Faurisson.En 1981, Georges Wellers, survivant d’Auschwitz, doit publierLes chambres à gaz ont existé.En 1987, l'historien Pierre Vidal-Naquet condamne Les assassinsde la mémoire.En 2000, une fondation pour la mémoire de la Shoah est créée. En 2005, le mémorial de la Shoah est ouvert à Paris.Le mur des noms, Mémorial de la Shoah, Paris.
- La révélation des spécificités du régime de Vichy.
En 1971, le cinéaste Marcel Ophuls montre dans Le Chagrin et la Pitié, chronique d'une ville française, Clermont-Ferrand, sous l'occupation, une vision sombre de la période de Vichy.Extrait : Visite du maréchal PétainA partir des années 1970, les historiens anglo-saxons étudient les spécificités du régime de Vichy.En 1973, un ouvrage majeur de Robert Paxton, La France de Vichy, est publié en français.Robert Paxton montre que le régime de Vichy est à l'initiative dela collaboration et qu'il a joué un rôle actif dans la déportation. Ilmontre aussi que Vichy met en œuvre une "révolution nationale" quilui confère des caractéristiques fascistes. Désormais, leshistoriens distinguent les collaborateurs des collaborationnistes. En1981, Robert Paxton oublie une étude sur Vichy et les Juifs qui confirmeses analyses précédentes.En 1994, les révélations sur le passé vichysto-résistant du président François Mitterrand font débat.Henry Rousso et Eric Conan publient leur livre Vichy. Un passé qui ne passe pas.- La découverte d'une France peu engagée.
Les historiens montrent que les Français étaient minoritairement résistants. Ils montrent également que la résistance a pris de multiples formes.En 2011, dans son ouvrage Le chagrin et le venin, l'historien Pierre Laborie refuse le verdict d'une France presque totalement collaboratrice qui semble alors s'imposer.III. Un travail des mémoires.
- Les procès.
Beate et Serge Klarsfeld œuvrent en faveur de l'arrestation et de la mise en procès des anciens nazis et collaborateurs.
Klaus Barbie, ancien chef de la gestapo de Lyon, est jugé en 1987. Son procès est entièrement filmé pour servir de témoignage historique.Paul Touvier est le premier Français condamné pour crime contre l'humanité.Maurice Papon, ancien fonctionnaire responsable de la déportation des juifs de Bordeaux, est condamné en 1997.Chronologie : http://www.liberation.fr/societe/2007/02/18/les-grandes-dates-de-l-affaire-papon_12853- La mise en place d'une politique des mémoires.
L’État met en place une politique de mémoire :
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une composante patrimoniale,
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une composante commémorative,
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une composante savante ;
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une composante pédagogique qui permet de fixer la mémoire d’un événement ;
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une composante vigilance.
L’État impose progressivement un devoir civique de mémoire des crimes commis pendant la guerre.
Les témoins racontent :
L'Etat impose des journées commémoratives16 juillet 1992 : François Mitterrand devient le premier chef de l’État à assister à la commémoration de la "rafle du Vel d'hiv".L’État modifie les programmes scolaires. En 1983, les programmes intègrent le thème de la France occupée. En 1985, ils insistent sur les spécificités de la Shoah.Textes officiels Éducation Nationale : http://www.enseigner-histoire-shoah.org/activites-dans-la-classe-et-letablissement/textes-officiels.htmlL’État adopte des lois mémorielles. La loi Gayssot du 13 juillet 1990 interdit la négation de l'existence de la politique d'extermination nazie. Les historiens débattent au sujet des lois mémorielles.L'historien Henry Rousso présente le devoir de mémoire comme " le plus grand mythe démocratique".2015 : François Hollande fait entrer des résistants au Panthéon :- La reconnaissance des responsabilités.
Le 16 juillet 1995, le président Jacques Chirac reconnaît officiellement la responsabilité de l’État français. Il rend hommage aux Justes, aux Français qui ont sauvé des Juifs de l’extermination nazie.
Allée des justes. Mémorial de la Shoah. Paris.En 1999, l’État crée une Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur durant l'occupation.En 2011, la SNCF reconnait son rôle dans la déportation.Le 28 octobre 2016, le président François Hollande reconnaît la responsabilité de l’État dans la déportation des Tsiganes.Certains s'opposent à ces manifestations de repentance. Les débats sont reflètent les oppositions politiques.- Aujourd'hui des mémoires plurielles et apaisées ?
Les historiens étudient les différentes mémoires et présentent leurs spécificités. Ce travail est d'autant plus important que la mémoire s'interroge de plus en plus sur les cas individuels : "que faisait mon aïeul, mes aïeux durant le conflit ?Les mémoires indigènes restent longtemps occultées. Leurs mémoires et le traitement de leurs mémoires sont liées aux questions coloniales.En 1966, une nécropole nationale, à Chasselay, est dédiée aux tirailleurs sénégalais.En 2006, le cinéaste Rachid Bouchareb rappelle, avec Les indigènes, le rôle des soldats issus des colonies. Le film fait polémique.Les mémoires semblent s'apaiser peu à peu. Le 8 mai 2010, les "malgré nous" sont officiellement reconnus comme "victimes du nazisme".Source : BD Malgré nous t. 4, éditions Soleil.Les événements sont de plus en plus éloignés dans le temps. Les témoins sont de moins en moins nombreux. Mais les historiens continuent de transmettre leurs analyses et de faire évoluer les mémoires.Pourtant les débats reprennent régulièrement et manifestent les divisions qui marquent la société française. La repentance et l'enseignement de la Shoah restent deux sujets particulièrement sensibles.Un sondage IFOP de 2018 laisse entendre que 10% des français ignorent ce qu'est la Shoah.Jean-Marc Goglin
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