• Etude : Aimé Césaire évoque la "mort des colonies" (1956)

    Le 27 janvier 1956, le « Comité d’action des intellectuels contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord » organise un grand meeting à Paris. Parmi les orateurs, se trouve Aimé Césaire, poète martiniquais, maire de Fort de France à partir de 1945 puis député à l’Assemblée Nationale. Après avoir été proche des communistes, il s’en est éloigné.

     

    Voici des extraits de son discours :

    « (…) S’il y a une idée que nous aimerions voir partager par tous ceux qui nous écoutent ici ce soir, c’est que le problème algérien, tout tragique qu’il est, n’est qu’un cas particulier d’un problème plus vaste et qui attend d’être résolu, je veux dire le problème colonial.

    Nous sommes au moment où, dans le monde entier, des peuples, jusqu’ici passifs ou résignés, se dressent et signifient que le temps est révolu d’un monde fondé sur la hiérarchisation des races et l’oppression des peuples. On aurait tort de se blaser là-dessus et de dire qu’après tout, le fait n’est pas nouveau, que seule la force a jusqu’ici maintenu les empires et qu’elle les maintiendra encore longtemps. La vérité est tout autre. La vérité est que pendant des décades, les peuples colonisés ont essayé de faire confiance, ont cru qu’il fallait faire confiance. Leurs vainqueurs parlaient si bien ! Ils parlaient des droits de l’homme, de la liberté, de la justice de la civilisation, que sais-je ? Ils proclamaient leur vocation de l’universel. (…)

    Eh bien ! Nous sommes à ce moment de l’histoire où les peuples coloniaux, tous sans exception, forts d’une expérience douloureuse, refusent de faire confiance et disent qu’ils ne font pas confiance.

    On se souvient de la conférence de Bandoeng. Que s’est-il passé de mémorable à Bandoeng ? Ceci : qu’un milliard cinq cent millions d’hommes se sont réunis dans une ville d’Asie pour proclamer solennellement que l’Europe n’avait plus vocation pour diriger unilatéralement le monde, pour proclamer que la domination européennes sur les parties non européennes du globe avait conduit le monde à une impasse dont il importait de sortir.

    Et Bandoeng n’a pas été comme on pourrait le croire une banale manifestation de la xénophobie asiatique ou africaine. Ça n’a pas été une dénonciation haineuse et aveugle de l’Europe. Au contraire, pas un des hommes réunis à Bandoeng qui ne fût conscient de l’immense importance de l’Europe dans l’histoire de l’humanité et de la richesse de sa contribution aux progrès de la civilisation. Ce qui a été condamné à Bandoeng ça n’a pas été la civilisation européenne, ça a été la forme intolérable qu’au nom de l’Europe certains hommes ont cru devoir donner aux relations qui devaient normalement s’instaurer entre l’Europe et les peuples non européens. (…)

    Le monde entier sait que le temps de l’empire européen est révolu, que le temps du régime colonial est passé, mais s’y accrochent sans s’apercevoir que son temps est passé, des hommes qui semblent d’autant plus prudents qu’ils sont plus aveugles.. (…) »

    Source : Les Temps modernes, 1956, tome II, p. 1366 à 1370

     

    Questions :

     

    1. Présentez le document, en insistant sur le contexte de l’époque

          2. Pourquoi les « peuples coloniaux » ne font-ils plus « confiance » ? Quels sont les peuples qui ont déjà, à la date de ce document, manifesté ce refus et obtenu leur indépendance ?

          3. « Que s’est-il passé de mémorable à Bandung ? »

          4. Commentez la dernière phrase du texte. Montrez en quoi elle fait directement allusion à l’attitude française. 

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