• Textes : Le quotidien au front

     

    Christian Bordeching, lieutenant dans l’armée allemande, était le fils d’horticulteurs allemand domiciliés à Brème. il était étudiant en architecture et écrivait très souvent à sa soeur Hanna. Il fut tué sur le front le 20 avril 1917, à 24 ans.

    "Le 24, 25 février 1916

    Ma chère Hanna,

    (...) Tu me demandes ce que nous mangeons. Dans la semaine en moyenne deux fois de la soupe aux pois à la couenne de lard, deux fois du bouillon de riz sucré, une fois des haricots verts et une fois de la soupe de riz avec de la viande de boeuf. On mange à même le couvercle de notre casserole de fer, et j’ai toujours dans ma poche ma cuillère, juste essuyée à l’aide de papier.Tous les huit jours, je dors une fois sans mes bottes, tous les dix jours je change de chaussettes et je reçois ma solde de cinq marks trente. Je dors toujours habillé, les pieds enfoncés dans un sac, le manteau par-dessus,puis recouvert d’une couverture de laine où je m’enfouis entièrement dessous. Pour nous asseoir, nous avons au mieux une caisse, mais le plus souvent rien du tout. Nous nous asseyons par terre, sur la paille. Dans notre groupe, nous allons chercher notre café dans une batterie de cuisine française, c’est très grand et chacun se sert lui-même avec sa tasse souillée. Personne n’a peur de la crasse : on s’y est habitués ; on rince, on boit et l’on se lave dans l’eau des tranchées. Mon bonnet à l’intérieur a l’air d’une caisse de charbon et des nuages de poussière sortent de mon uniforme. Je ne peux me laver que tous les deux jours. Tu devrais voir nos latrines, elles sont à mourir de rire : un simple tronc de bouleau où l’on est aligné derrière contre derrière et qui offre, du chemin principal, une belle vue. Nous avons eu si peu de pain cette semaine que la plupart ont déjà mangé leurs biscuits de secours. Si tu veux en savoir davantage, tu n’as qu’à me demander des détails.

    Tu peux sûrement t’expliquer ma mauvaise écriture, assieds-toi donc par terre, mets un livre sur lequel tu peux écrire sur tes cuisses, et pose entre tes genoux une bouteille avec une faible lumière. (...)"

     

    in GUÉNO, J-P, (s. d.), Paroles de poilus : lettres et carnets du front 1914-1918, Paris, Librio, 2001, p. 69-70

     

    "Dimanche 22 novembre 1914

    Voilà quelques jours qu’il fait très froid, il gèle très fort chaque nuit, hier matin le thermomètre était à 9 degrés au-dessous de zéro ; le canal del a Marne au Rhin qui passe par ici est tout gelé, aussi je t’avoue franchement que la nuit c’est bien le moment de s’enfoncer le nez sous la paille, sans crainte des rats qui peuvent très bien nous grignoter le bout du nez sans qu’on le sorte dehors car la bise souffle rudement et passe à travers les tuiles, je viens de faire faire des feuillées « cabinets » ; la terre est gelée sur une profondeur d’au moins 12 centimètres, c’est te dire qu’il ne fait pas chaud.

    Voilà une dizaine de jours que nous n’avons pas été au combat, le canon tonne dans le lointain ; je ne sais pas si un de ces jours il ne nous appellera pas mais, que veux-tu ? puisque nous sommes là pour ça....

    Joseph Gilles"

     

    in GUÉNO, J-P, (s. d.), Paroles de poilus : lettres et carnets du front 1914-1918, Paris, Librio, 2001, p. 93-94

    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , ,